

L’entrepreneur est essentiellement un visionnaire.
Il peut
visualiser une chose et, ce faisant, il voit comment la faire arriver.
- Robert L. Schwartz
Luigi Nocivelli,
une histoire que l’on n’oublie pas
Luigi Nocivelli est un chef
d’entreprise italien de la deuxième moitié du XXe siècle. C’est un « Homme de la Renaissance », qui
a su allier les deux caractéristiques de sa personnalité, en combinant sa passion pour la mécanique et
l’art, l’industrie et l’agriculture, l’architecture et la littérature, l’innovation technologique et le
respect de la nature.
Il incarne un modèle d’entreprise basé sur le dévouement, la compétence, l’organisation, la curiosité et le pragmatisme. Grâce à
sa capacité de façonner ses projets, il a su transformer le petit atelier de famille en Ocean. Il a été Président-Directeur général de la société Ercole Marelli dans les années 1970. Il a créé un empire dans le monde de
l’électroménager dans les années 1980 et 1990. Il a fait une brève incursion à la direction de Moulinex en 2000-2001, pour ensuite fonder le Groupe Epta en 2003.
Frêle enfant de la vie, à l’instar du jeune Hans Castorp de la
Montagne Magique de Thomas Mann, son roman préféré, il imagine son futur et travaille de toutes ses forces
pour le réaliser. Ordre, simplicité, résilience et capacité à
déléguer sont autant de valeurs qui l’ont accompagné tout au long de sa vie. Acteur majeur du siècle dernier, Luigi Nocivelli a connu de grands
succès, mais a également vécu des moments difficiles, dont il a toujours su se relever avec la force du
courage et de la persévérance, en se lançant dans de nouvelles aventures pour montrer sa valeur en tant
que personne et en tant qu’entrepreneur.

La raison humaine doit seulement être plus forte que le destin, et elle est le destin.
- Thomas Mann
depuis 1930 jusqu'au 1956:
Jeunesse
Fils aîné du couple Angelo et Orsola (surnommée Lina) Nocivelli,
Luigi est né à Offlaga, dans la région de Brescia le 29 avril 1930. Sa mère est issue d’une famille
bourgeoise locale, avec des parents nobles et un entourage familiale notable, dont avocats, notaires,
médecins et pharmaciens. Les Nocivelli sont quant à eux originaires d’un petit village de la région de
Parme, situé sur la commune de Pellegrino Parmense, curieusement appelé Nocivelli. Ils ont été marchands d’étoffes des générations durant puis, après la Première Guerre
mondiale, Angelo Nocivelli et son frère Lorenzo ont décidé de devenir
électriciens. Une activité de pointe à une époque où la diffusion du courant électrique n’en
était qu’à ses débuts. Angelo est dans un premier temps embauché comme ouvrier par la société électrique
Malfassi à Verolavecchia, en
province de Brescia, avant de se mettre à son compte. Il s’occupe principalement de réparer et installer
de petits systèmes électriques et de rebobiner des moteurs et des transformateurs.
Dans les années 1940, Angelo Nocivelli est à la tête d’un atelier électromécanique dans lequel ses enfants
travaillent occasionnellement. C’est ainsi que, le 28 juin 1947, le
petit entrepreneur décide de se rendre avec ses fils Luigi et Enrico à la Fiera Campionaria, la
première grande foire de Milan de l’après-guerre, annoncée comme le rendez-vous incontournable de
l’industrie, la recherche et l’innovation. Malheureusement, pendant le voyage en train, Angelo, assis sur
la plateforme d’un des wagons, perd l’équilibre à cause d’une secousse et tombe, en se blessant
grièvement. Ce sera Luigi, qui passait alors son baccalauréat de technicien industriel électrotechnique, qui prendra en charge l’activité familiale pendant la longue convalescence de
son père. Ce sont deux années très éprouvantes et incertaines, mais particulièrement formatrices pour le
caractère et la personnalité de Luigi Nocivelli. C’est en effet pendant cette période que s’affirment sa force de volonté, ses compétences
techniques et sa passion pour la mécanique et
l’électromécanique ainsi que sa capacité de se battre pour
atteindre ses objectifs.
Au début de l’année 1950, Angelo Nocivelli se rétablit et reprend le
travail auprès de son fils. Luigi Nocivelli décide alors de poursuivre ses études et il s’inscrit à la
faculté d’Économie et de Commerce de l’Université Bocconi de Milan.
Il n’a jamais terminé son cursus, mais il s’est passionné pour les statistiques et le droit. Un beau jour,
en attendant le début d’un de ses cours, il lit un article sur les stabilisateurs
de tension, que Siemens avait étudiés, mais jamais fabriqués
au niveau industriel, et il a alors une intuition. Ce composant offrirait une vision optimale à la
télévision qui entrait à grande vitesse dans les foyers italiens. Pour chaque appareil vendu, un
stabilisateur était nécessaire. Un marché potentiellement immense. La curiosité,
qui ne quittera jamais Luigi, en le poussant à explorer, approfondir et toujours chercher de nouvelles
idées en vue d’innover perpétuellement, est déjà à la base de son
premier succès : les Nocivelli commencent en effet à réaliser des stabilisateurs pour les téléviseurs.
C’est ainsi que l’atelier Nocivelli commence à se développer. Autovox
est le premier gros client qui travaille à l’échelle nationale : la production augmente rapidement et
l’activité a besoin d’être agrandie.
En 1956 Luigi part pour le service militaire, mais il continue de penser au développement de l’activité.
Il souhaite la transformer en une grande usine électromécanique. Peu après son retour, en décembre 1957, il fonde Ocean à Verolanuova, Officina Costruzioni Elettriche Angelo
Nocivelli, dans un établissement de plus de 1000
m2 situé à Via Mazzini.

Il est tout à fait faux de dire que le chercheur poursuit la vérité, c'est elle qui le poursuit.
- Robert Musil
1957:
Ocean
Fondée en 1957, quelques mois seulement après ses débuts, l’activité
d’Ocean est florissante. L’entreprise est dirigée par Angelo et Luigi avec sa sœur Bruna,
qui s’occupe de l’administration. Gianfranco se spécialise dans les
relations et suivra son frère Luigi dans toutes ses aventures industrielles. Malheureusement, à la fin de
l’année 1958, le marché des stabilisateurs s’effondre à l’improviste : Philips
fait breveter un appareil électronique placé à l’intérieur des téléviseurs, pour éviter de devoir recourir
à des stabilisateurs extérieurs et, en l’espace de quelques mois, tous les concurrents l’imitent.
Luigi Nocivelli ne se décourage pas pour autant et transforme ce moment difficile en une opportunité pour diversifier l’activité. Il décide de se tourner vers
le secteur des réfrigérateurs, un marché nouveau à l’époque, en forte
expansion grâce à des entreprises qui se spécialisaient dans la production de glaces, comme Motta et
Alemagna. En 1959 il lance au sein d’Ocean une petite ligne de production de congélateurs. Pour rationaliser le prix de
revient, il décide de plier les tôles en angle droit, ce qui était le strict opposé des goûts de l’époque
qui privilégiaient les formes plus douces et arrondies, mais qui anticipe sur les nouvelles modes, en
associant aux lignes régulières et carrées une image de modernité et d’efficacité technologique. Luigi
noue des relations avec certains fabricants de composants électromécaniques et entame une longue phase
d’expérimentation des prototypes. Les premiers mois sont presque entièrement consacrés au perfectionnement du système de réfrigération, dont la plus grande
difficulté repose sur le dimensionnement du circuit et la quantité de gaz fréon à introduire dans le
système. Une fois l’équilibre trouvé, l’activité peut enfin commencer avec la mise en place d’une ligne complète de production industrielle. Les stabilisateurs cèdent le
pas aux réfrigérateurs dans l’établissement Ocean de via Mazzini,
agrandi par un nouveau bâtiment de plus de 1000
m2. Les premiers clients sont surtout les concessionnaires locaux des marques
de glaces industrielles, rapidement suivis par ceux de boissons. Un marché au départ uniquement national
qui absorbe en 1960 plus de 5000 pièces.
Cette même année Luigi Nocivelli épouse Barbara Zarnetti et, en 1964,
il s’installe avec sa famille au-dessus du nouvel établissement Ocean de
10000 m2 de viale Europa, toujours à Verolanuova. L’entreprise traverse un
moment de pleine expansion et franchit les frontières nationales. Ocean, grâce à l’habileté de Luigi et
Gianfranco, s’impose comme l’un des plus gros fabricants européens de congélateurs en sous-traitance, avec
une production qui atteint maintenant 250000 pièces/an.
En 1969, les Nocivelli achètent un autre établissement d’environ
10000 m2 à Pozzaglio (Province de CR) pour y
fabriquer des congélateurs verticaux domestiques. Le système de réfrigération qui caractérise les produits
Ocean : les roll-bond sont fabriqués à viale Mazzini. Il s’agit du véritable cœur technologique de
l’appareil, composé de deux feuilles d’aluminium qui renferment le serpentin à l’intérieur duquel circule
le fluide réfrigérant. Les évaporateurs roll-bond pour les congélateurs horizontaux sont ensuite expédiés
dans l’établissement de Viale Europa, où les produits sont assemblés.
Luigi Nocivelli est un industriel très spécial : il avait lui-même été apprenti et ouvrier, c’est un
technicien et un homme de vision et d’intuition. Il aime le travail
manuel et il se rend souvent au service de production pour remplacer ses salariés, juste pour le
plaisir de sentir qu’il fait partie intégrante du cycle. Le développement d’Ocean est associé à sa personne et à ses capacités, toujours complétées par celles de son
frère Gianfranco.

La vie et les rêves sont les feuillets d'un livre unique.
- Arthur Schopenhauer
1973:
À la barre de Marelli
Au début des années 1970, pendant que la croissance d’Ocean poursuit sa lancée, Luigi Nocivelli cultive son rêve de relancer
l’électromécanique italienne à l’échelle internationale. Entre 1971
et 1973, il amorce en toute discrétion une campagne d’achat d’actions de la
société Ercole Marelli, sans jamais apparaître en public. Il entreprend, avec ténacité et
obstination, son ascension au sommet de l’entreprise qui, mieux que n’importe quelle autre, est capable de
représenter le potentiel italien dans le secteur. Il dévoile son identité uniquement lorsqu’il détient
30 % des actions. En 1973*, il entre au Conseil
d’administration. Actionnaire majoritaire, il prend le contrôle de
l’entreprise, et laisse son frère Gianfranco à la tête d’Ocean.
Lorsque Luigi Nocivelli arrive, il se trouve face à une situation bien pire qu’il n’y paraissait de
l’extérieur. L’exposition financière est énorme, les structures du groupe sont obsolètes,
les managers de longue date vivent d’anciens privilèges et les
services sont encore structurés sur de vieux modèles industriels.
Parmi les jeunes recrues, la situation n’est pas mieux. De nombreux ouvriers ont été embauchés à la suite
d’accords politiques, beaucoup ont un niveau scolaire très limité, certains ont adhéré à la lutte armée
et, de manière plus ou moins secrètement ils militent à l’intérieur de l’usine en faveur de groupes
d’extrême gauche, comme la colonne milanaise Walter Alasia des Brigades rouges. Depuis quinze ans au
moins, l’entreprise est bloquée dans une situation d’immobilisme, qui
l’a empêchée de suivre l’évolution technique du secteur.
Nocivelli provient d’une expérience complètement différente et met immédiatement en place un plan de
restructuration pour redonner fierté et compétitivité à Marelli**. Beaucoup
l’accueillent avec hostilité, d’autres comme un vent de fraîcheur. Il incarne un modèle d’entreprise basé sur le dévouement,
la compétence et le pragmatisme. Il souhaite créer un système alliant les machines pour produire
de l’énergie à celles pour la transformer en électricité et l’acheminer vers les consommateurs, dans
l’objectif de mettre en valeur l’industrie électromécanique italienne
jusqu’alors fragmentaire pour rivaliser avec les pays étrangers. Il élargit la gamme de produits
et met en place un segment de construction d’installations. Il pénètre le marché des lignes électriques et
surveille de plus en plus près l’international pour identifier de nouveaux marchés et de nouvelles grosses
opportunités d’affaires. Il mise de plus sur l’énergie nucléaire, qu’il considère fondamentale pour la
croissance du Pays.
Ercole Marelli, sous la houlette de Nocivelli, renforce considérablement sa position, et réalise en 1974 près de 80 milliards de lires de chiffre d’affaires
avec un carnet de commandes de 130 milliards, soit une progression de 56 % par rapport à 1973. Cependant,
le rêve de Luigi Nocivelli se heurte à un contexte extrêmement
délicat : la crise pétrolière, l’interruption du premier Plan énergétique, qui promettait la
création de 20 centrales nucléaires en Italie, l’inflation, la crise monétaire, l’augmentation du chômage,
la lutte armée et le terrorisme, amènent le système national au bord du gouffre. Ce sont les années de plomb, pendant lesquelles les actions des Brigades
rouges et le risque croissant d’enlèvements viennent s'ajouter à la crise de
l’industrie. Pendant ces années-là, les menaces sur les dirigeants de l’entreprise sont
incessantes et culminent avec l’assassinat de Renato Briano,
directeur du personnel d’Ercole Marelli, qui est abattu le matin du 12 novembre 1980 alors qu’il se
rendait à son travail en métro.
Malgré les efforts déployés par Luigi et par un groupe de jeunes dirigeants qui l’accompagnent, les
résultats de l’entreprise sont toujours négatifs. La société Ercole Marelli est mise en liquidation et
Luigi Nocivelli quitte la direction du groupe électromécanique en 1981. C’est un échec cuisant, mais
en grande partie lié au poids des dettes antérieures de la société et d’une
conjoncture économique, politique et sociale défavorable.
* Index de toutes les années de l’Annuaire R&S du Ufficio Studi
Mediobanca
** Carletto Calcia, Il "mio" Tecnomasio, Alkes, 2016

La création authentique est un don à l'avenir.
- Albert Camus
depuis 1981 jusqu'au 1999:
L’empire électroménager
Après avoir quitté Ercole Marelli, Luigi fait son retour à Verolanuova pour se consacrer entièrement au
développement industriel d’El.Fi.
Electrofinanziaria*, la société que les Nocivelli ont fondée pour gérer les
finances et les futures acquisitions. L’expérience accumulée pendant les années passées chez Marelli
permet à Luigi d’avoir une vision stratégique et de savoir évaluer des entreprises hors du commun. Luigi pense surtout à la croissance externe, dans l’objectif de transformer
l’entreprise familiale en leader du secteur de l’électroménager à envergure internationale. Grâce
à l’élargissement de l’offre, il pourra ainsi lutter contre l’influence croissante des groupes
internationaux et créer une niche de marché protégée de l’expansion des grands groupes.
Il commence par compléter la gamme de produits en ajoutant les
secteurs de la chaleur et du lavage à celui de la réfrigération à
travers ses premières acquisitions.
En 1986, la recherche de fabricants d’électroménager pouvant être rachetés par la famille ne semble plus porter ses fruits. Les Nocivelli décident alors d’élargir leurs horizons et de se diversifier dans des secteurs technologiques connus et de productions en série. Démarre alors un deuxième round d’acquisitions qui se succèdent rapidement :
En 1992, une occasion unique se présente à l’improviste : l’État français décide de vendre La société leader en France dans le secteur de l'électroménager. Luigi comprend que c’est l’occasion de revenir dans la course de l’univers de l’électroménager qui semblait fermé. Il saisit l’occasion et concrétise la même année deux acquisitions qui le propulsent au rang des grands constructeurs d’appareils électroménagers : l'acquisition française et une, plus petite, en Allemagne.

Le plan de Luigi est ambitieux, mais il a les idées claires et aborde chaque acquisition en appliquant sa propre méthode empirique, constituée de quelques points clés qui sous-tendent son instinct de chef d’entreprise, sa capacité à comprendre les personnes et à analyser les entreprises uniquement en regardant et en écoutant. La recherche d’une opportunité est un processus complexe qu’il articule autour de trois étapes fondamentales : l’identification de l’entreprise, son évaluation et la négociation finale.
L’analyse est au cœur du processus. Examiner de manière lucide la position sur le marché, la clientèle, la capacité d’organisation, le niveau de la gestion, l’éventuelle existence de contraintes cachées etc. ; pour Luigi Nocivelli ces éléments et le niveau d’intégration humaine et technique qui lie l’éventuelle entreprise cible avec celles d’El.Fi., sont plus importantes que le prix d’achat et les comptes de la société.
Les années allant de 1993 à 1998 sont consacrées à la rationalisation du groupe. Les trois divisions du groupe sont créées : Électroménager, Chauffage et climatisation et Réfrigération commerciale.
Le secteur de la Réfrigération commerciale se poursuit sur la voie des acquisitions en série :
Dans le secteur du Chauffage et de la Climatisation, la situation est plus compliquée : la taille critique est plus difficile à atteindre et les Nocivelli décident de se défaire du secteur Chauffage. En 1997, ils vendent Chaffoteaux et Maury au groupe Preussac et en 1999, ils cèdent Ocean Idroclima au groupe Baxi.
Dans le secteur de l’Électroménager, une acquisition particulièrement clairvoyante est visée, mais compliquée : en 1999 la société Polar (Pologne) entre dans le groupe. Cette entreprise a un potentiel énorme, mais elle absorbe de nombreuses énergies du groupe en raison de l’obsolescence technique dans laquelle se trouvent ses installations.
* Index de toutes les années de l’Annuaire R&S du Ufficio Studi Mediobanca
** "I fratelli doppio Bianco" - La Repubblica, 8 juillet 1988

L'amour s'oppose à la mort, lui seul est plus fort qu'elle, et non la raison.
- Thomas Mann
anné 2000:
Dernier projet
Après l’acquisition de Thompson-Brandt la popularité de Luigi Nocivelli en
France augmente au même rythme que son prestige parmi les industriels et les politiciens. Une
ascension qui culmine en 1998, lorsqu’il est fait chevalier de la
Légion d’honneur le 13 juillet au Ministère de la Coopération à Paris*.
Pendant la cérémonie, l’éventualité de nouvelles acquisitions importantes voit le jour. Les frères se
chargeraient ainsi d’assainir d’autres entreprises françaises en difficulté.
Luigi Nocivelli poursuit un projet qu’il a en tête depuis l’époque de Marelli : construire un système cohérent et complet de multinationales qui dialoguent entre
elles, se complètent mutuellement, pour diversifier les risques et maximiser les profits. Les acquisitions
des vingt dernières années étaient destinées à construire le pôle européen
de l’électroménager pour s’inviter dans les maisons du plus grand nombre de consommateurs
possible et être présent simultanément sur les marchés de la réfrigération, de la cuisson et du lavage. Le
seul élément qui manque encore à son projet, ce sont les petits appareils
électroménagers.
Moulinex pourrait représenter le maillon manquant : bien qu’il
s’agisse d’une entreprise très grande et très connue, elle se trouve dans une situation de difficulté
évidente. La crise russe et l’ouverture de la Chine, qui commence à être le fabricant de référence du
petit électroménager dans le monde, l’ont compromise, avec un impact important sur ses comptes. Moulinex
est également une société complexe, avec de multiples filiales et donc peu transparente ; le fait qu’elle
soit également cotée rend son évaluation réelle encore plus difficile. Luigi Nocivelli décide d’en acheter une petite part pour comprendre la
situation**. À cette période il a des problèmes de santé, il souffre d’un cancer et
doit être opéré. Durant la maladie il doit se rendre à l’évidence : ses forces et son temps ne sont pas
illimités. En 2000 l’ascension du groupe français se poursuit et
El.Fi. acquiert 26,5 % de Moulinex. Son objectif est de faire évaluer
Moulinex et Brandt, d’aligner les sociétés et de procéder à une fusion. Il tente d’accélérer les
négociations dans la mesure où le problème de succession est évident au sein du groupe de Brescia, dans
lequel travaillent aussi ses enfants et neveux. Malgré la méfiance de son frère Gianfranco de certains
membres de la famille et des plus proches collaborateurs, Luigi Nocivelli est persuadé que l’affaire
Moulinex peut être conclue et qu’elle représente la solution idéale pour faire de la place à tous les
membres de la famille avec un éventuel accès direct en Bourse.
Il souhaiterait faire, comme à l’accoutumée, une due diligence
approfondie, mais, étant donné que la société est cotée, il s’avère impossible de la réaliser
sans porter gravement atteinte à l’image de la société. Il décide alors, comme il l’a déjà fait à
plusieurs reprises, de se fier à son instinct : il accélère, abandonne son projet d’audit et signe le
protocole d’entente préliminaire pour la fusion. Une fois l’accord
conclu à la fin de l’année, Luigi présente un plan de restructuration sur trois ans proposant
d’atteindre un chiffre d’affaires de 6000 milliards de lires. Le
programme prévoit la suppression d’environ 2000 postes et confirme le maintien de tous les établissements
de production qui exigent cependant des investissements pour les
moderniser***.
Les idées sont claires, mais la force nécessaire pour les mettre en œuvre n’est plus ce qu’elle était.
Nocivelli décide de céder la gestion aux Français et se limite à
intervenir en tant qu’actionnaire de référence en laissant les pleins pouvoirs au PDG. Mais la situation est déjà très grave : la stratégie du nouveau PDG, qui propose
un plan jugé insuffisant pour redresser les comptes, engendre de nouvelles préoccupations dans le milieu
financier. La bourse pénalise l’action et les choses se précipitent.
Les banques françaises suppriment les lignes de crédit et en septembre 2001,
le PDG Patrick Puy dépose le bilan. Les répercussions de la crise sont extrêmement violentes,
également au sein de la famille Nocivelli : les deux frères, qui avaient travaillé ensemble toute leur
vie, s’éloignent l’un de l’autre.
Luigi s’efforce de reprendre sa vie d’avant. Il se consacre au procès devant les tribunaux français et
se remet au travail, avec la ténacité et la persévérance qui le
caractérisent, dans toutes les situations. Il souhaite repartir rapidement sur une nouvelle activité et
réaffirmer son honnêteté et sa valeur d’homme plus que d’homme
industriel. Le procès est long et les liquidateurs lancent des accusations tous azimuts : en 2004 Pierre Blayau, PDG de Moulinex avant la fusion avec Brandt est accusé de
détournement de fonds, banqueroute et présentation et publication de comptes annuels inexacts, pour ne pas avoir déclaré la faillite de Moulinex quand il en était
encore à la tête. Patrick Puy est également mis en examen avec cinq
autres dirigeants pour des délits analogues. De leur côté, Luigi et Gianfranco doivent répondre à une diminution apparente des fonds
disponibles de Brandt, mais ils n’ont aucun mal à démontrer qu’ils avaient servi à réaligner les deux entreprises avant leur fusion. Après des années
d’audiences la vérité triomphe dans sa simplicité : la Famille Nocivelli est
innocentée à la fin du procès, le 12 février 2015. C’est une revanche morale importante pour eux
qui, ont perdu, dans l’aventure Moulinex, toute la branche de l’électroménager, une entreprise qui
réalisait en 1999 1.300 millions d’euros de chiffre d’affaires avec un résultat net de 32 millions
d’euros.
* Décret du 13 juillet 1998 portant promotion et nomination au
grade de chevalier
** "La saga des amoureux de robots ménagers. Le clan Nocivelli,
prétendant à l'achat de Moulinex, cultive le mystère autour de lui" - liberation.fr 7 avril 2000
***
"Brandt offre un nouveau départ à Moulinex" - lsa-conso.fr 14 septembre 2000

Même si ces souvenirs me sont horribles et si je recule devant la douleur, je vais commencer.
- Virgilio
depuis 2002:
La renaissance
Luigi Nocivelli, après la faillite de Moulinex-Brandt, s’en remet à Sergio
Chiostri, ami et manager très expérimenté. En 2002, Chiostri
commence à étudier la question et comprend que le problème central
était d’avoir acheté Moulinex sans constituer avant une équipe de managers pouvant gérer l’opération sur le territoire. Dans
le passé, Luigi Nocivelli avait toujours vérifié personnellement tous les aspects de chaque acquisition.
Mais cette fois, même s’il s’agissait de l’achat le plus complexe et risqué de tous, il n’était pas
parvenu à maîtriser les événements. L’analyse lucide de Chiostri démontre que le groupe contrôlé par El.Fi. ne peut plus renaître dans sa globalité. Il convient de conserver
les branches saines et de recommencer à partir de là. La première chose à faire est de répartir les activités au sein de la famille. Chiostri devient le trait
d’union qu’il manquait et, grâce à sa médiation, Luigi et Gianfranco conviennent de séparer les secteurs
de la climatisation et de la réfrigération.
Paolo Nocivelli, fils de Gianfranco, prend la direction d’Argo et de Filiberti. La réfrigération
commerciale reste dans les mains de Luigi et de son fils Marco qui
est le PDG de Costan depuis janvier 2000.
Dans cette phase de renaissance, l’affaire Moulinex a profondément marqué
Luigi, mais n’a pas rompu son lien avec la vie et l’entreprise. L’idée d’arrêter son activité et
de se retirer est une possibilité qu’il ne prend pas du tout en considération. Il se fie à l’expérience de
Sergio Chiostri et, en perspective, des capacités de son fils Marco. Il travaille avec eux sur les lignes
de développement stratégique de la nouvelle société : il imagine que Costan,
Bonnet Névé, New Market, BKT et George Barker puissent faire naître un groupe étendu et articulé,
qui développe à 360° le secteur de la réfrigération commerciale. En
comprenant certaines erreurs du passé, il se reconstruit en tant que chef d’entreprise, en essayant de se
corriger et de s’améliorer.
Sur le marché du froid, les entreprises d’El.Fi. étaient indépendantes et il existait un seul instrument
de coordination financière. Ce modèle, qui avait toujours été adopté par Luigi et Gianfranco Nocivelli,
caractérisait leur groupe régi par la société financière de la famille. Chiostri
est l’homme qui lui indique une nouvelle façon de voir les choses et lui suggère un modèle d’organisation alternatif sur lequel fonder la nouvelle réalité.
Luigi la nomme Epta, en plaçant au centre de cette opération la valeur symbolique de la famille, composée des sept enfants. Une holding
opérationnelle est créée, dont le siège est à Milan, Luigi Nocivelli en est
le président et indique les lignes stratégiques, tandis que Sergio
Chiostri en devient le Directeur général*. Il s’agit d’un changement de
mentalité radical, auquel Luigi Nocivelli s’adapte extrêmement rapidement, en parvenant à saisir le bon
moment pour « passer la main ». Le départ en 2003 est lent, mais la tendance s’inverse
rapidement**. Luigi, qui avait toujours été à la tête d’un réseau éclaté d’entreprises
indépendantes, dirige désormais un système centralisé, qui fonde sa solidité sur l’ampleur de la base du
groupe et la diversification du risque, en travaillant sur plusieurs marchés et régions géographiques.
Même si on lui diagnostique en 2004 un mésothéliome, une forme de cancer du poumon, Luigi Nocivelli
demeure un homme actif et déterminé, et suivra toujours avec attention la croissance d’Epta, jusqu’à sa
disparition survenue en décembre 2006.
L’Epta de Luigi Nocivelli, est aujourd’hui dirigée par son fils Marco et réalise plus de 800 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2016, avec 4000 salariés, une présence commerciale dans plus de 35 pays
et 200 000 unités fabriquées par an.
Pour plus de détails, consulter : https://www.eptarefrigeration.com/it
* "I Nocivelli tornano a regnare sul 'freddo'" - La Repubblica, 15
septembre 2008
** "Dall'Asia al Sudamerica il ritorno dei Nocivelli, imprenditori
globalizzati" - brescia.corriere.it, 19 janvier 2012